Les conduites musicales ne sont pas
que de simples enchainements de gestes, mais l’aboutissement d’un
ensemble d’aptitudes mentales assurant leur mise en séquence, leur
déroulement, l’ajustement des éléments successifs au projet d’action,
l’adaptation au contexte. La mise en œuvre du musical réclame
l’utilisation, l’adaptation ou la création d’instances assurant les
divers modes nécessaires d’interfaçage entre action et perception. Au
fil de l’appropriation musicale, trois instances de redéploiement sont
à prendre en compte : langagier, vocal et moteur.
Le premier, l’
assembleur-déployeur
langagier, on l’a vu, est de l’ordre des facilitateur, c’est une
organisation externe au musical, invoquée temporairement. Requis à
l’aube des conduites musicales, il assure le lien entre les gestes
vocaux réutilisés par le déroulement des chaines verbales. Mais ce
simple ordonnancement n’assure pas les gestions d’ensemble telles que
les rendra possibles la planification propre à la sphère de l’action.
Le développement mental va permettre que la vocalité s’affranchisse des
seules organisations langagières, deviennent un mode d’action, avec son
assembleur-déployeur propre. L’action proprement dite va suivre ce
chemin, mais avec un peu de retard, ne disposant pas de la même
proximité avec l’audition qu’exploite la vocalisation. L’audition va
progressivement être associée à l’action, mais sous une forme
intériorisée, associée avec les
traces d’usage. Ce décalage est concrètement observable lors de reproductions de configurations rythmiques.
L’écart entre les assembleurs-déployeurs vocaux et moteurs peut être
mis en évidence par la procédure expérimentale suivante : après
présentation sonore d’une configuration rythmique à reproduire, une
première expression vocale est demandée. Dans les deux cas qui vont
suivre, la configuration est correctement reproduite, mais
ensuite on observe :
Dans un premier cas, l’enfant produit
une frappe erronée. Il reprend et fait la même erreur. Je lui demande
de chanter à nouveau le modèle : il produit vocalement la forme altérée
qu’il a frappée.
Dans un second cas, l’enfant produit une frappe erronée. Il a
conscience de la frappe erronée, s’arrête et reprend au début. Il butte
encore et reprend. Je lui demande de chanter à nouveau le modèle, il
produit la forme correcte. Il finit par frapper correctement aussi.
On comprend que dans le premier cas, le résultat sonore de l’action
s’est substitué à la trace musicale initiale. Faute de l’avènement de
modèle dématérialisé, l’activité s’appuie sur la persistance musicale,
sensible évidemment à remplacement. La seconde conduite nous indique
que l’intentionnalité ne se réduit pas à l’activation du
déroulement des traces d’usage ; elle est une entité dynamique qui les
intègre dans un principe d’enchainement alternant, présenté plus haut
comme facilitateur. Sans entrer dans les détails, il est nécessaire de
signaler que ce lien nécessaire entre les éléments amenés à se succéder
est aussi une contrainte : le principe de succession peut entrer en
conflit avec les successions attendues par la forme engagée à
reproduction.
Mais revenons à la mise en oeuvre du déroulement de ce programme
d’action : il est conjointement l’activation d’une attente perceptive,
sorte d’image en creux du déroulement prévu, permettant son
interruption en cas d’écart entre l’attendu et le survenu. C’est ce que
montre le second exemple.
Le déploiement musical est aussi un ajustement au contexte de chacun
des pas de l’enchainement. Ces systèmes vont tendre à se développer
avec l’âge, à progresser vers des préréglages de plus en plus globaux.
On va passer du simple fil conducteur assurant la succession des gestes
vers des contextes d’organisation où les gestes musicaux voisinent avec
des gestes d’autres natures, où le musical s’inscrit dans des trames et
des interactions temporelles et intonatives.