Refaire ce qu'on entend

Il faut aussi comprendre qu’en sa forme aboutie, l’intentionnalité musicale est quelque chose de plus qu’une simple activation, plus qu’un déclic donné au déroulement d’assemblages gestuels ou vocaux. Elle possède une dimension bien plus vaste, puisqu’au-delà de l’activation des schèmes d’action, elle se projette en quelque chose de l’ordre de l’attente qu’on pourrait qualifier de possibilité perceptive. Elle n’est pas vraiment une représentation, non plus un moyen de reproduction, elle s’exprime en quelque sorte négativement par la mise en alerte lorsque l’action en cours cesse de coïncider avec l’attendu. Et souvent cela se traduit par l’interruption de l’action. L’observation de reproductions directes de configuration rythmique confirmer ces propositions.
Les formes à reproduire font parties de l’appareil d’exercices du cours d’initiation musicale. Celles dont il est question ici comportent cinq frappes organisées sur deux notes, suivies d’un espace, à exécuter généralement sur deux tambours en terre cuite.
Après présentation du modèle, avant et après frappes, je demande à l’élève de chanter la configuration.
Pour les enfants, ces formes volontairement asymétriques, sont assez difficiles à reproduire. De par l’effet équilibrant de la mise en séquence, leur reconstitution motrice donne lieu à des formes altérées qui s’expliquent comme autant de réductions des tensions motrices engendrées. J’ai illustré ailleurs comment le principe piagétien de l’équilibration des schèmes expliquait cela. L’intérêt ici est qu’elles n’affectent pas la reproduction vocale. Ne retenons ici que les deux conduites usuellement rencontrées.
Dans le premier cas, après une performance vocale correcte, l’enfant produit une frappe erronée. Il reprend et fait la même erreur. Je lui demande de chanter, et alors il produit vocalement la forme altérée qu’il a frappée.
Dans le second cas, après une performance vocale correcte, l’enfant produit une frappe erronée, Il en a conscience, et reprend au début. Il butte encore et reprends. Si je lui demande de chanter à nouveau, il produit la forme correcte. Il finit par frapper correctement aussi.
Ceci signifie que dans le premier cas, le résultat de l’action a écrasé la représentation. C’est donc que l’activité s’appuyait sur la rémanence perceptive, sensible évidemment à remplacement. La seconde conduite confirme donc l’existence d’une rémanence de l’intention d’agir – la possibilité perceptive -, lisible par la vocalisation, sans effet directe sur l’action mais permettant sa replanification à partir des divergences perçues. Facilitation perceptive plutôt que véritable représentation, ce caractère invariant de l’organisation séquentielle est ainsi protégée des flux perceptifs générés par le déroulement de l’activité. Il y a donc, à un moment donné de l’appropriation, avènement de la capacité à gérer le déroulement des gestes par des formes intériorisées des mélodies temporelles. Et comme on l’a vu, l’intérêt de cet acquis est de favoriser des activités de reconstitution sans altération de l’intention initiale, donc d’accéder à la conduite par essais et erreurs.


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