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LÕusage musical
 
Il est cohŽrent dÕimaginer que la musique, bien que riche dÕexpressions spŽcifiques, soit nŽanmoins lÕaffaire dÕune pŽdagogie unique. Or ce nÕest ˆ lՎvidence pas le cas. On imagine que la diversitŽ musicale est une des causes majeures de la dispersion des approches dÕenseignement. On pense que la personnalitŽ et la formation du pŽdagogue joue un r™le aussi. Il est vrai que les diverses densitŽs dÕengagement et de vie musicale se traduisent par le clivage entre ce quÕon pourrait appeler les enseignants-musiciens et les musiciens-enseignants.
Mais il existe une autre manire dÕaborder la question de la dispersion pŽdagogique en musique : elle serait en grande partie dŽterminŽe par la thŽorie du savoir et de ses modes de transmission ˆ laquelle adhre le pŽdagogue, par formation ou inclination personnelle. Cela revient ˆ dire que la pŽdagogie est souvent dŽterminŽe par ce que lÕadulte pense de la musique plut™t que par le vŽcu quÕelle constitue pour lÕenfant. Suivre cette idŽe serait donc de prendre acte de ce que livre lÕacteur et le tŽmoins de ce vŽcu : le pŽdagogue.
CÕest le choix qui est fait ici, sous la forme dÕune approche issue de lÕobservation des conduites musicales enfantines, et rationnalisŽe sur la base dÕun postulat simple :
LÕappropriation musicale sÕinscrit dans un systme bipolaire, fait dÕun versant social et dÕun versant individuel, et le second repose, dŽpend du premier.
LÕusage du terme appropriation privilŽgie lÕidŽe dÕune qute active du musical, ce qui rejette la croyance en une musicalisation passive, par simple imprŽgnation perceptive. Mais cet activisme de lÕenfant nÕest pas prŽŽtabli ; il nÕest pas de la nature mais de la culture ; culture ; il doit tre instaurŽ, au travers de la transmission fondamentale.
Il le sera par lÕeffet de la dynamique premire qui habite lÕadulte, celle dՎduquer et de transmettre. CÕest dÕun transfert ŽnergŽtique dont il est question ici, ˆ la fois dŽsignation et activation de la dynamique musicale. Il correspond ˆ un statut mental particulier, celui de la levŽe des rŽsistances au changement. Il se prolongera dans lÕeffet mentor, levier du pŽdagogue.
CÕest ainsi le que lÕaccueil tactile et sonore dispensŽ aux nouveaux-nŽs construit le besoin de musique. VŽritable cocon perceptif ; il sature les activitŽs dÕattente et dÕorientation pour gŽnŽrer un espace de quiŽtude. Nous nÕaurons de cesse de rŽactiver cet Žtat mental privilŽgiŽ notre vie durant. Il est ce que le pŽdagogue partage avec ses Žlves.
Le lien entre les deux ŽnergŽtiques est le savoir-faire Žducatif intuitif et ce quÕil a produit et accumulŽ dans chaque culture quÕon peut appeler le gŽnie didactique. Il est notre capital initial de savoir-faire pŽdagogique.
Ce prŽambule conduit ˆ une thŽorie pŽdagogique taillŽes sur mesure pour la musique, une thŽorie qui inclut le processus en deux Žtapes de lÕappropriation musicale, et la rŽflexion quÕelle ouvre sur les lieux possibles et nŽcessaires de lÕefficience pŽdagogique.
Cela sÕappelle :
LÕUSAGE ET LES MOYENS
JÕappelle usage la participation de lÕenfant ˆ lÕactivitŽ musicale pratiquŽe par des pairs, par principe plus experts que lui. LÕenfant est ainsi associŽ activement ˆ des possibilitŽs musicales bien supŽrieures ˆ ce quÕil est ˆ mme de produire seul.
JÕappelle moyens musicaux les activitŽs mentales dont lÕabsence ou la faiblesse sont compensŽes par lÕusage musical. Au grŽ tant de lՉge que de lÕexpŽrience, ils montent en force vers leur finalitŽ : la reconstitution autonome de lÕespace dÕusage.
Cette distinction, et la hiŽrarchie quÕelle porte, est fondamentale, mais diviser le processus de lÕappropriation musicale en deux nÕest pas lÕexpliquer, tant que nÕest pas compris le mode dÕinteractivitŽ qui Žtabli lÕunitŽ du processus.
Le lien rŽside en ce que le surcroit dÕaptitude favorisŽ par lÕusage musical laisse des traces : les enchainements et ajustements des gestes, mais aussi leurs consŽquences auditives, subsistent en nous sous forme de traces dÕusage. Elles sont rŽactivables au grŽ de situations analogues, elles vont sÕenrichir au grŽ des rŽpŽtitions, ainsi va sÕintensifier la participation ˆ lÕespace dÕusage.
LÕusage ainsi conu est donc ˆ la fois lÕopportunitŽ et la condition nŽcessaire ˆ lÕappropriation musicale ; il joue le r™le de relais dans le processus dÕintŽriorisation des moyens partagŽs.
Pratiquement, il y a pourtant une contradiction. Comment peut se mettre en place une activitŽ qui repose sur des traces dÕusage qui rŽsultent elles-mmes de lÕusage ?
La rŽponse est sous nos yeux, ou plut™t, sous lÕoreille ! Chacun peut observer les plus jeunes enfants lors de leur reproductions des chansons apprises en commun : un intermŽdiaire surdouŽ Š le langage - va assurer les premires formes de conduites musicales, en assujettissant, par les chaines verbales, le dŽroulement de gestes vocaux rudimentaires. Concrtement, se succdent un certain nombre de mots phrases, mŽmorisŽes pour leur prŽgnance, cela sur une musicalisation schŽmatique, souvent basŽe sur un mme motif. En voici un exemple.
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 THEORIE DES FACILITATEURS
Mais accŽder ˆ lÕespace musical nÕest pas une aptitude prŽŽtablie. Le besoin de musique et appŽtence sociale vont sursoir ˆ cet inachvement en recourant de manire transitoire ˆ des fonctionnalitŽs extŽrieures au domaine musical proprement dit, les facilitateurs dÕaccs
Hormis lÕordonnancement de la vocalitŽ par les chaines verbales Š le langage a statut de facilitateur fondamental -  trois autres activitŽs adventive vont tre invoquŽes par le besoin de musique :

   La rŽgulation cadentielle Š assure une pseudo synchronisation de lÕactivitŽ lorsquÕest engagŽ le tempo
   par dŽfaut des activitŽs sŽquentielles. On peut lÕobserver dans des activitŽs rythmiques frappŽes ou dansŽes, lorsque la forme en usage est reprise sur un tempo plus lent : les plus jeunes nÕarrivent ˆ sÕy ajuster.
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     La rŽgulation sŽquentielle Š assure lÕenchainement des gestes au travers du principe dÕalternance,
     condition premire de lÕenchainement moteur. On observe cela lors de t‰che basŽes sur des alternances       brisŽes, que les plus jeune tendent ˆ reconstituer
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   La rŽgulation visuelle Š permet de partager lÕanticipation et lÕengagement gestuel avant que ne soient   efficiente lÕassociation entre les instances de dŽploiement de lÕaction et les comportements prŽdictifs.
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Mais revenons aux moyens. Ceux-ci vont monter en force, se substituer progressivement aux facilitateurs, non sans quelques interfŽrences. On le constate dans certaines conduite de reconstitution, o lÕenfant entonne le motif chantŽ, sÕarrte comme si quelquÕun lui disait : ce nÕest pas cela ! On dirait que deux musiciens
cohabitent, lÕun qui organise et fait, lÕautre qui surveille
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En rŽalitŽ la montŽe en force de lÕintelligence motrice fait passer la vocalitŽ au statut dÕaction, et rend caduc son contr™le par la verbalitŽ. La nouveautŽ est alors que le dŽploiement de la possibilitŽ motrice sÕaccompagne dÕune possibilitŽ perceptive. CÕest en quelque sorte une forme en creux, une attente. Elle ne saurait suffire ˆ organiser lÕaction, mais elle permet le blocage de lÕactivitŽ par lÕextŽrieur lorsquÕelle cesse de concorder avec lÕattente conjointe.
Le mme progrs intervient pour les conduites motrices : le mme processus dÕautocorrection est ˆ lÕĻuvre. Si on demande une expression vocale lors de cette activitŽ, on constate quÕelle est conforme, que le modle sonore initial sÕest conservŽ.
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Mais cette aptitude relve dŽjˆ de moyens musicaux constituŽs, comme en tŽmoigne son absence chez les plus jeunes : ˆ la mme demande de chanter le modle, on constate que sÕy est substituŽ la dernire chose entendue.
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l La construction des moyens musicaux une fois engagŽe, les aptitudes se constatent sur plusieurs plans. Ainsi, la facilitation visuelle dŽborde du simple rŽglage de geste vers lÕajustement de toute une configuration musicale : dans lÕinsertion ˆ la volŽe dans une configuration rythmique simple, les plus grands sÕajustent par anticipation de toute la configuration musicale, alors que lÕenfant non maitrisant nÕajuste que la premire frappe.
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Ceci nÕest quÕun survol des moyens musicaux. Avant de le clore, il importe de dire quÕils ne se rŽsument pas ˆ lÕorganisation et la gestion de la rematŽrialisation des traces dÕusage, mais quÕils sont associŽs, et ne se confondent pas, avec la dimension de musicalisation
On peut le constater lorsque le dŽploiement moteur permet la rŽactivation de lÕidentitŽ musicale perdue. Cette dynamique perceptive dÕarticulation - le dŽcoupage du donnŽ en unitŽs significatives Š se rŽactive du dehors.
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LE CONTEXTE PEDAGOGIQUE DE LÕAPPROPRIATION MUSICALE
Cette approche thŽorique, rappelons-le, Žmane dÕune pratique pŽdagogique intuitive, dŽveloppŽe empiriquement durant des annŽes ˆ LÕAtelier Musical. Je nÕen ai tracŽ ici que les grandes lignes, mais cela est suffisant pour comprendre que la t‰che du pŽdagogue est dÕinitier et de favoriser lÕaccs ˆ lÕespace dÕusage. CÕest le lieu dՎlection de la pŽdagogie musicale, puisque cette accs est condition premire du double
processus de l'appropriation musicale.
Concrtement, le chemin tracŽ est de prendre le relais du gŽnie didactique en sÕappuyant sur ce quÕil a dŽjˆ permis de constituer chez lÕenfant. Il sÕagit de reconna”tre ce savoir pratique en lÕutilisant pour crŽer et renforcer les mŽcanismes facilitateurs. Il sÕagit aussi de multiplier, durant la pŽriode propice de lÕinitiation musicale, les acquis de lÕexpŽrience qui vont habiller les fonctions mentales en construction pour en faire des moyens musicaux. Finalement, le pŽdagogue est lui-mme un facilitateur, et dans sa pratique de lÕinitiation musicale, lՎlaboration de didactiques extensibles et gŽnŽralisatrices repose sur quelques principes seulement :

User des facilitateurs, en gardant ˆ lÕesprit quÕils ne se confondent pas avec les moyens musicaux puisquÕils ne font quÕen palier la faiblesse ou lÕinachvement.
Associer les enfants en insertion prŽcaire avec des maitrisant, mais aussi valoriser les maitrisant en leur donnant une t‰che supŽrieure, ou le statut gratifiant dÕassistant.

Eviter lÕextinction de lÕattractivitŽ des t‰ches, tant sur le plan musicale que psychologique.

User de la double sollicitation
 : associer pour chaque enfant, une performance individuelle ˆ la suite de lÕactivitŽ collective. Cette pŽdagogie globale associe la fonction dՎvaluation, le plaisir de lÕexpression musicale dÕensemble et lÕeffet gratifiant pour lÕestime de soi de la performance face au groupe.

Ce qui prŽcde dessine un principe didactique gŽnŽral : lÕactivitŽ pŽdagogique musicale doit sՎdifier autour du partage cognitif. Il sÕagit dÕimaginer des exercices loisibles dÕextensions :
     De manire horizontale. Elle est celle de lÕaccroissement technique de lÕinstrument et des reports de
     lÕactivitŽ maitrisŽe sur dÕautres instruments.

     De manire verticale. Elle est celle de la possibilitŽ de participer ˆ lÕexercice selon divers niveaux
     dÕinsertion musicale.


Les trois temps du dŽveloppement musical
Pour terminer, on doit encore replacer descriptions et propositions dans le contexte gŽnŽral du dŽveloppement musical. Dans notre culture, il sÕarticule en trois temps, et pour chacun, le r™le ˆ jouer par la pŽdagogie est diffŽrent.

La prŽparation. La premire pŽriode est celle de lÕaccs ˆ la production autonome du registre mental         particulier qui portera le musical. CÕest aussi lÕavnement dÕun lien opŽrant entre audition et vocalisation.

      LÕappropriation. La deuxime pŽriode dŽbute avec lÕaccs aux comportements sociaux et co•ncide avec
      la  construction de la pensŽe, dont elle est un des aspects. Elle concerne donc tous les enfants.

      Les acquisitions. La troisime pŽriode, qui dŽbute gŽnŽralement vers la huitime annŽe, est celle
      de lÕacquisition des techniques musicales. CÕest un engagement individuel, volontairement souscrit
      envers une musique objet dÕapprentissages. Il nÕa de limites que celles quÕon lui concde.

Tout ce dont il a ŽtŽ question ici sÕinscrit dans la deuxime pŽriode, celle de lÕappropriation. La comprŽhension et la formulation concrte des besoins pŽdagogiques qui sÕy rapportent permettent de constituer les principes de la classe dÕinitiation musicale.