L'appropriation musicale

L’appropriation musicale est un processus indirect[1], la constitution des aptitudes  individuelles reposant sur une pratique interindividuelles préalable. Elle est dite  de l’usage musical  et consiste à partager l’activation d’un vécu particulier, celui de l’espace musical. La particularité de l’usage musical est de profiter à ceux qui n’en ont encore que partiellement la maîtrise. Le surcroit d’aptitude ainsi favorisé, et l’activité qu’il rend donc possible laissent des traces, comme toute conduite motrice : l’enchainement des gestes, leurs ajustements et leurs conséquences auditives subsistent en nous. L’importance de ces traces d’usage réside en ce qu’elles sont réactivables au gré de situations analogues, et loisibles de s’enrichir au gré des répétitions. Ainsi s’accroissent les possibilités d’accès et de participation à l’usage musical.

J’appelle moyens musicaux les activités mentales dont l’absence ou la faiblesse sont compensées par l’usage musical. Au gré tant de l’âge que de l’expérience, ils montent en force vers leur finalité : la reconstitution autonome de l’espace d’usage Ce processus d’intériorisation ne nous est pas accessible, alors qu’au contraire, l’usage musical est le lieu même du besoin pédagogique.
Seulement, l’accès à l’espace musical, condition première de cette évolution, n’est pas une aptitude préétablie. Mais le besoin de musique, facteur énergétique fondamental de l’appropriation musicale, va sursoir à cette insufisance en recourant de manière transitoire à des fonctionnalités extérieures au domaine musical proprement dit, les facilitateurs.

[1] L’appropriation en deux étapes du savoir est présente tant chez Piaget que chez Vigotsky, bien que sur des bases différentes, ce qui a donné lieu à une controverse célèbre entre les deux auteurs. Le premier dit que le savoir est d’abord individuel, puis social, le second l’inverse. En réalité, Piaget appelle individuel le fait que la connaissance de l’enfant soit limité à sa propre expérience, et social le fait que la connaissance est par définition interindividuelle (2 et 2 font toujours et partout 4, dit-il !) Pour Vigotsky (in Schneuwly & Bronckart), il est d’abord social, car interindividuel, puis individuel parce qu’intériorisé. Il le dit ainsi : « chaque fonction apparaît deux fois, .. d’abord au niveau interpersonnel en tant que catégorie interpsychologique,  ensuite au niveau de l’enfant en tant que catégorie intrapsychologique ». La théorie de l’usage et des moyens est une concrétisation de cette seconde proposition.