L'espace de quiétude

Lorsque l’enfant entre dans notre vie, nous l’accueillons par tous les soins qui lui sont nécessaires, mais également par un bain tactile et sonore tout aussi important. Caresses, balancements, paroles douces et chantonnements vont à la rencontre des perceptions du nouveau-né, constituant en quelque sorte un écran avec le monde. Ce champ de la détente, qu’instaurent la satiété et le silence de l’organisme, résulte d’une véritable saturation des mécanismes mentaux d’orientation et de mise en vigilance. Ainsi se génère un espace de quiétude. Nous nous en souviendrons notre vie durant : Balzac, en parlant de la musique, ne dit-il pas si justement « qu’elle ranime les voluptés de l’enfance » ! En outre, et c’est important ici, cette source de bien être créé en même temps l’énergétique même de l’appropriation : le besoin de musique.

Avènement de l’intentionnalité musicale

Avec cette énergétique nouvellement inscrite en lui que l’enfant va franchir un pas décisif : s’approprier le contrôle de cet état mental nouveau et gratifiant que lui a fait connaître son milieu d’accueil. C’est sous forme de fable qu’on peut imaginer l’origine de cet acquis fondamental dans le cheminement de l’enfant vers la musique : l’intentionnalité musicale. Même si elle ne survient pas forcément de manière aussi ponctuelle, c’est néanmoins un moment fondateur.
Un matin parmi d’autres, l’enfant s’éveille. Il sort d’autant plus lentement du sommeil que tout autour de lui est immobile, et plus inquiétant, silencieux. L’autonomie acquise au long de ces deux premières années lui permet de sortir de son lit. Il s’étonne que sa démarche encore hésitante ne suscite aucune des réactions auxquelles il est accoutumé. Il s’assied au centre de la chambre, et c’est son être tout entier qui perçoit le danger : il ne sait pas penser la solitude, alors il invente, il se met à psalmodier.
Comme ce que nous entendons au fond du coquillage n’est pas tant un bruit que la réactivation d’une part de vécu, cet enfant, en reconstituant à lui seul son « bruit de la mère », recréé un entourage, fige la fuite de l’être en créant une bulle sonore dont il est le centre. C’est en effet de cela qu’il s’agit : retrouver le contexte associé à l’émotion-présence afin de neutraliser, d’exclure le sentiment d’abandon. Ces premiers chantonnements de l’enfant en désarroi sont donc une conjuration de l’absence au travers de la création d’un contre-environnement non hostile ?
En produisant cet écran avec le monde, l’enfant initie un nouveau mode d’être au monde : être à la fois émetteur et récepteur d’évènements sonores. Ce bouclage de l’action et de l’audition est un fondement du musical en général. De relier le sujet à lui-même par l’extérieur découle aussi l’indécision entre lui et les autres musiciens. Ainsi s’initialise l’intentionnalité musicale, bien qu’elle ne soit pas encore source de musique comme on aime à l’imaginer : cette vocalisation participe de ce qu’on appelle les phénomènes transitionnels, sa finalité n’est que psychologique. Elle est néanmoins le premier temps du musical, bien que l’enfant n’évolue dans le champ sonore que par ennui ou contagion, et que jamais il n’y rencontre les autres. Il faut en outre se garder de tout adultocentrisme : les vocalises de cet espace transitionnel ne sont pas des « improvisations » qui nous livreraient d’hypothétiques formes natives du musical.


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